Le 25 juin dernier, nous avons assisté aux Rotondes de Luxembourg à la 6e édition du battle «On S'en Fish». En mode «spectateur». Mais le geste de Yugson, un des jurés, nous a profondément marqués. On vous explique pourquoi.
Au Grand-Duché, le dernier «call out» digne de ce nom remontait à plus de quatre ans. Au 5 mai 2018 précisément. Lors du feu GC Battle, ce dernier avait mis aux prises Funky Belgian'Z et Premier Avertissement. Un souvenir inoubliable, impérissable. D'ailleurs, nous nous en étions fait l'écho dans le journal Le Quotidien mais aussi sur ce blog.
Cette fois, nous avions décidé de venir au battle «On S'en Fish», librement, sans carnet de notes ni stylo. Mais avec un «poto», Julien, le fils du «Zozo», à la veille de ses 35 printemps.
Lors de l'event, après une pause, les speakers Dimey et Nasty nous expliquent qu'un danseur, mécontent de n'avoir pas été retenu lors des présélections hip-hop, a décidé de défier... Yugson. Ou plutôt, devrais-je dire, Hugo Massanglia Lumengo aka Yugson Hawks. Un sacré «blaze» dans le milieu hip-hop, un artiste multidisciplinaire (danseur, chorégraphe, DJ, etc.) membre de Wanted Posse et membre fondateur, en 1993, de Serial Stepperz (Paris).
Honnêtement, on se demande qui est l'impudent qui a pu commettre ce crime de lèse-majesté. Quand on connaît le CV* de «Yugs», sérieux, il faut oser ! Être, au choix, sacrément gonflé ou totalement inconscient !
On identifie le jeune loup. Il s'agit d'un jeune métis, avec une épaisse touffe de cheveux et une petite moustache en duvet. Ce dernier se présente sur le floor, donne tout ce qu'il a. Il y a de la rage, il en a gros sur la patate, ça se sent qu'il veut régler ses comptes une bonne fois pour toutes.
Vient le tour de «Yugs». On pense qu'il va le «massacrer», autrement dit dans le jargon hip-hop le «fumer», lui mettre la misère, le «buter». Eh bien, figurez-vous qu'on se trompe complet. Son adversaire est loin de l'intimider, mais l'atmosphère malsaine qu'il dégage l'inhibe. Pour ainsi dire, ça le bloque. Il met fin précipitamment au call out. «J'peux pas, j'peux pas...», glisse-t-il en s'excusant, désolé par la tournure des évènements.
«Shame on you !»
Dans la salle, le malaise couve. L'incident diplomatique est proche. Natacha, une copine de l'orga (l'ASBL Knowedge), passe devant la scène furax et fusille du regard l'impudent. Et lui lance un tacle (verbal) bien appuyé : «Shame on you !».
Vu qu'on a l'esprit un brin tordu, on ne peut s'empêcher de penser l'espace d'un instant à la chanson d'Ophélie Winter (I'm blamin'you, I'm blaming'ou, han han...).
À ce moment-là, Yugson se rassoit et perso, on se sent mal, on a de la peine pour lui. Pourquoi ne l'a-t-il pas «corrigé» ? Dans les jugements suivants, on le sent comme pensif, ailleurs.
Le battle et ses trois catégories (hip-hop, house, musicalité) se poursuivent malgré cette péripétie. «The show must go on», comme se plaît à répéter Maman.
Avant les finales, place à la démo des juges. Honneur aux dames avec miss Clara Bajado, la Française d'origine philippine installée à Londres depuis 2006. Aux platines, Rémi Yin (ASBL Knowedge), tout sourire, semble aux anges. Il se délecte de ce moment dansé sur sa zik préférée. C'est vrai que la façon qu'elle a de prendre les «accents» a de quoi vous charmer !
Ensuite, Boubou Belbak (31 ans, Les Sancho, Marseille) prend le relais. C'est l'un des danseurs que l'on s'arrache en ce moment... On a récemment vu le Nîmois dans les clips de Black M (Outfit), Clara Luciani (Le Reste) ou Kungs (Never Going Home), sans oublier de mentionner la participation remarquée de son crew à Britains'Got Talent.
Boubou, déchaîné, retourne littéralement la Grande Salle des Rotondes avec son waacking. Sa danse de bras très explosive et solaire a conquis tout le monde. Et sa personnalité joviale et accessible également. Preuve que les kilos en trop ne sont pas un frein au style... Ne change rien, Mathieu !
Dans le public, à notre gauche, on croise alors le regard de Daniel Hatchi aka Daneshiro (O'Trip House), l'un des pionniers de la house dance en France. Le «bon courage !» à l'adresse de «Yugs» nous vient au même moment sur nos lèvres. On en rigole. Car, la vérité, c'est qu'il faut être diablement costaud pour passer après une telle presta. Mais avec son background, son vécu, son immense expérience, Yugson, n'est pas du tout impressionné.
Sa démo, mêlant hip-hop et house, est un pur régal. Un moment Nutella, comme on dit. Tel un professeur virtuose, il enseigne, explique des choses avec la musique. Sur la manière de l'écouter et surtout celle de la ressentir et de la retranscrire ensuite avec son corps. Il s'évertue à montrer un éventail le plus large des différentes façons dont on peut «prendre» un son. En clair, prouver qu'il n'y a pas qu'une seule clé, possibilité, mais bien un arc-en-ciel de directions... C'est beau, c'est fluide, c'est énergique, sans oublier incroyablement subtil ! Y faut vraiment checker son groove, son flow, sa musicalité... palala, v'là les détails !
Le vibrant hommage à «Baba» !
À la fin de sa démonstration sur un remix de Get On Up de James Brown, Yugson invite le fameux jeune en question à le rejoindre sur le floor. Tonton «Yugs» n'avait donc pas oublié l'incident, mais tel un vieux sage, cherchait la meilleure réponse à apporter, une fois que la tension était retombée. Et elle est venue de la danse... La danse comme lieu d'échange, comme trait d'union entre les gens, et ce jour-là il fait même office d'espace de réconciliation. Quelle belle leçon !
Avant, pour Yugson, de glisser quelques mots pleins de bon sens au micro : «La culture (hip-hop) est beaucoup plus importante que nous. Les egos, les trucs comme ça, on met ça de côté. Si je danse, c'est pour mes ancêtres, ceux qui ont disparu ‑ Rest in peace Babson, mon bro (il pointe son index vers le ciel, puis frappe son poing sur le sol). Donc les guerres, les trucs comme ça, ça ne sert à rien en fait, c'est inutile. Si tu n'es pas pris dans un battle, c'est l'ego, reviens plus fort ! Il est fort, il reviendra plus fort, c'est comme ça ! Voilà, c'est tout, merci !»
Ou comment faire passer un message «en mettant les points sur les i, les barres sur les t et la sauce sur le riz !» De quoi laisser clairement... baba !
Ismaël Bouchafra-Hennequin
* Natif de Belgique et originaire du Congo-Kinshasa, Yugson est vainqueur du Battle of the Year en 2001 (Allemagne), gagnant du Juste Debout (catégorie house en 2003, 2004, 2006 et 2010, mais aussi en catégorie hip-hop en 2003), du House Dance Forever en 2010 et 2012, ou encore de Be-House en 2012.
«Va, vis et deviens, mais n'oublie jamais d'où tu viens ni ceux qui étaient là quand tu n'étais rien.»
(Ousmane Sy aka Babson, Baba ou Justice, figure majeure de la danse hip-hop, 1975-2020)
Notre battle coup de cœur de cette 6e édition du battle «On S'en Fish» : la finale house entre Daneshiro (O'Trip House, Paris, France) et Kenshu (Novel Nextus / LunaticK, Japon/Allemagne)
Pour en savoir plus :
- Les vainqueurs de cette 6e édition : house (Daneshiro, Paris), hip-hop (Instinct, ex-So Flacka, Luxembourg), «musicolofish» (The Pat, Allemagne)
- Pour voir ou revoir toutes les vidéos de la 6e édition du battle «On S'en Fish», ça se passe par ici !
- Allez, cadeau, trois petits sons souvenirs du battle, un premier qui sent bon le Brésil et les vacances, un second rempli de vibes (dédicace à Jul, Laeticia Cusset et Daneshiro) et un troisième de fin de soirée qui constitue la signature de DJ Rémi
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